Dominique Sylvain est une romancière qui s’est nettement imposée parmi nos auteurs de polar hexagonal depuis "age du désir," lauréat du prix du roman policier des lectrices de la revue "Elle "en 2004.
Avec ces "Infidèles", Dominique Sylvain tisse un roman policier particulièrement sombre et parfaitement construit, dans lequel la plupart des protagonistes de l’histoire ont leur mot à dire et fera éclater leur propre vérité qui n’est on s’en doute, pas forcément celle de son voisin.
J'ai eu l'immense honneur de rencontrer l'auteur autour d'un déjeuner en tête à tête bien sympathique dans lequel elle a pu me dévoiler une bonne partie des secrets de son formidable roman.
INTERVIEW DOMINIQUE SYLVAIN/
BAZ ART /QUAIS DU POLAR 2018

Baz'art : Qu'est qui vous a motivé à écrire "Les Infidèles" : avant tout, vous souhaitiez parler des relations extraconjugales dans notre société actuelle, très technologique ou bien plus généralement, vous vouliez tisser une intrigue policière en brassant plusieurs thématiques diverses ?
Dominique Sylvain : À vrai dire, même si je reconnais que cela parait un peu incroyable dit comme cela, je ne maîtrise jamais vraiment le processus d'écriture au tout début d'un livre.
Pour moi, un roman part toujours d'un certain nombre d'éléments divers qui finissent par converger à un moment ou à un autre, parfois d'ailleurs, un peu à mon insu (sourires).
Je vois dans la presse, ou ailleurs, un sujet attire qui mon attention et que je pourrais utiliser comme sujet de roman? Alors, je le note, et le mets de côté dans un gros dossier fait spécialement pour cela et attend que d'autres éléments de ce genre viennent s'ajouter pour que la mayonnaise puisse prendre.
Pour "les infidèles", j'ai effectivement retrouvé dans mes archives une coupure de presse à propos de la créatrice d’un site d’alibis pour couples adultères, et c'est de là, sans même vraiment chercher à analyser pourquoi j'étais attirée par ce sujet, que j'ai inventé ce personnage d'Alice, gérante d'un site similaire.
Parallèlement, au cours d'un diner auquel j'étais invité, je me suis rendu compte que j'avais autour de moi deux couples d'homosexuels, dont un des deux membres avait été marié avant et je me suis dit que, là encore, je tenais une idée pour mes autres personnages, ceux des flics, que c'était quelque chose d'intéressant qu'on avait peu vu dans les romans policiers.
De fil en aiguille, avec des personnages de plus en plus étoffés, j'ai commencé à pouvoir tisser autour d'eux un semblant de récit (sourires) .
Ce qui est certain, c'est que pour moi, le sujet a moins d'importance que les personnages et la façon dont l'histoire se construit. Les réponses, à mon sens, sont toujours moins intéressantes que les questions que l'on se pose.
Baz'art : Votre roman peut être vu comme un roman féministe, grâce notamment à cette Alice, personnage libre et hors des clous, mais en même temps, sur les 4 voix qui racontent l'histoire, seule celle d'Alice est une femme. Quelle est votre position sur cette question du genre, est- ce qu'en tant qu'auteur femme, vous pensez que votre façon d'écrire diffère de vos collègues masculins ?
Dominique Sylvain : En fait, je ne me pose jamais la question en ces termes : lorsque j’écris, je n’ai pas vraiment le sentiment d'écrire comme une femme, mais plus un comme être humain dans sa globalité et sa complexité, et je pense que si je raisonnais en termes de genre, ca enlèverait une partie de cette complexité.
Certes; je tenais vraiment à ce qu'un de mes personnages soit une femme forte, libre, qui a des activités qu'on n'a pas l'habitude d'associer aux femmes. J'ai mis pas mal de temps à trouver vraiment comment prendre ce personnage d'Alice, il m'a fallu 9 versions différentes pour pouvoir totalement l'appréhender, mais telle qu'elle est, elle correspond bien à l'image d'une femme d'aujourd’hui que je souhaitais donner.
Après, il était important qu'il y ait aussi des voix masculines qui racontent aussi le récit, pour apporter un contrepied nécessaire et puisse bien équilibrer le récit.
Ensuite, pour répondre à la seconde partie de votre question, je ne crois pas qu'on puisse deviner que je suis une femme en lisant mes romans si on ne le sait préalablement.
Il m'arrive souvent que des lecteurs, qui viennent me découvrir en salon après avoir lu mes romans, soient surpris de découvrir que je suis une femme- comme j'ai un prénom mixte, la confusion est de mise- et c'est vrai que j'aime les ambiances noires et sombres, ces genres d'atmosphère qu'on aurait tendance à accoler à des auteurs masculins , même si je connais un certain nombre de romancières féminines qui maitrisent parfaitement la noirceur aussi..

Baz'art : Même si affirmez que le sujet a moins d'importance à vos yeux que les personnages, le fait que votre intrigue se situe dans l’univers de l’adultère, avec notamment ces sites qui donnent des alibis aux gens, n'est pas anodin. Était-ce important pour vous de parler des nouvelles formes des relations extraconjugales à l'heure du net?
Dominique Sylvain : Disons que ce qui m'a intéressée avec ce sujet, c'est les thématiques qui en découlent, à savoir comment on peut mentir, et tous les faux-semblants et ces conventions sociales qui en résultent.
Déjà, dans mon précédent roman, "Kabukicho", ces mensonges et ces faux semblants étaient un ressort important de l'intrigue, puisque je montrais à quel point ces hôtes et hôtesses de bar aient leurs nuits à mentir à leurs clients pour les valoriser dans une sorte d’industrie du « massage de l’ego » très organisée et lucrative.
Dans les infidèles, le meurtre de cette jeune journaliste, qui enquêtait sur l’économie de l’adultère, est le moyen de diriger la caméra vers ce petit monde du commerce liée à l’extra conjugalité et de plonger chaque protagoniste dans l’obligation de se confronter à la réalité et aux conséquences de ses actes.
En fait, pour en revenir toujours aux personnages, je tiens vraiment à ce qu'ils soient représentatifs de leur -et de notre- époque, et pour moi, dans cette époque actuelle où les faux semblants sont légions, je trouve assez logique que mes protagonistes aient tous quelque chose à cacher.
Mais ce regard sur mes contemporains, j'essaie vraiment de ne jamais le poser d’une manière cynique, distanciée et encore moins moralisatrice.
Il ne s’agissait vraiment pas de porter un jugement moral sur mes Infidèles, mais plutôt d’observer chez eux ce que cette sorte de dynamique du chaos qu'ils mettent en avant, un peu malgré eux.
Est-ce justement pour cre cette fameuse dynamique du chaos que vous avez opté pour un récit choral une nouvelle fois?
Dominique Sylvain : Oui bien sûr, le récit choral que j’ai utilisé souvent dans mes romans- parfois avec trop de personnages comme on me l’a parfois reproché - est la voie la plus efficace ,selon moi, pour essayer de capturer le monde à un instant T.
À mes yeux, la réalité n’est pas monolithique car le chaos fait partie de nos vies.
Le monde me semble extrêmement complexe et j'ai tendance à penser que dans les romans choraux, on peut déployer mieux sa sensibilité et élargir sa pensée : lorsque j’utilise plusieurs personnages et donc plusieurs narrateurs, j’ai donc l’occasion rêvée d’observer ce chaos et de faire mieux partie du mouvement.
Baz'art : Loin du Japon de votre précédent roman, l'intrigue des "infidèles" se situe à la fois à Paris et en Bourgogne avec même plusieurs ages qui jouent beaucoup sur cette différence ville/ campagne. Pourquoi cette volonté de prendre deux décors aussi contrastés, est-ce votre façon à vous de critiquer la vie parisienne totalement folle?
Dominique Sylvain : Tout à fait, comme mon précédent récit se ait à Tokyo en pleine densité urbaine et que je n’aime pas refaire deux fois le même roman, il était important pour moi de situer une partie du roman se e dans le terroir français, ce qui me permettait de travailler sur une opposition campagne/ville, et savais qu’une partie de l’intrigue se déroulerait à Paris, où je vis.
Concernant la Bourgogne, et l’Yonne plus particulièrement, en fait, je ne connaissais pas tant que cela cette région : à l’origine, j’avais été invitée au Festival des Écrits de femmes, à St-Sauveur-en-Puisaye, le village natal de la romancière Colette, et m’étais dit que le lieu créerait une ambiance intéressante et mystérieuse pour un polar. Ce coin-là, c’est un peu cette dont on pense qu’elle n’existe plus et dont on aurait la nostalgie.
J’ai donc imaginé une Alice qui se serait réfugiée dans ce coin et aurait mis beaucoup d’argent dans la rénovation de sa splendide demeure familiale.
Et pour moi il était important qu'Alice vive tranquillement dans cette belle campagne, dans cette maison qu'elle a dû financer avec cette agence d'alibi pour y vivre une vie de recluse plutôt tranquille avant d'apprendre la disparition de cette jeune Salomé , la seule personne à qui elle était vraiment attachée..
Et forcément le contraste avec la capitale était prégnant, et je me suis amusée à lui faire dire quelques mots pas très tendres envers Paris et les parisiens, pour bien montrer qu’elle était attachée à sa nouvelle région et qu’elle ne comprenait plus le mode de vie des parisiens..
Mais ce n’est pas forcément moi qui parle à travers elle (sourires).je suis plutôt quelqu’un d’urbain au départ, qui vit dans les grandes villes après c’est vrai que pour avoir vécu longuement à Tokyo, une autre grande mégalopole je trouve qu’A Paris il y a des mauvais cotés- pollution, le bruit, le stresse permanent- qui rendent cette ville difficile à vivre…

Baz'art : "Les infidèles", c'est aussi un formidable livre sur la ion. Vous parvenez parfaitement à décrire les affres du désir, c'était important pour vous d'aborder ce sujet ?
Dominique Sylvain : En fait, dès que j'ai commencé à penser à la construction de mon récit, même si je voulais faire un polar qui sorte un peu de l’ordinaire, il était logique la police intervienne dans l’intrigue , puisqu’il y avait un homicide.
Mais je suis lassée de lire, dans pas mal de romans que j’ai sous les yeux, des professionnels de la police qui mènent une enquête au cordeau avec une grande maestria, car ce n'est pas comme cela que ce e dans la vie, et de plus, souvent, on insiste sur des aspects techniques très précis qui peuvent ennuyer le lecteur.
J’avais très envie de dynamiter l’enquête et quoi de mieux alors que la puissance de la ion pour faire exploser la belle mécanique du travail policier ?
Entre Maze et Barnier va se nouer cette ion, qui est un peu une seconde ligne narrative du roman.
Baz'art: Et en même temps, cette ion, c'est un sujet qui peut vite être casse gueule car cela peut vite virer au roman un peu gnangnan, c’était donc un vrai défi pour vous de savoir comment le traiter?
Dominique Sylvain : Oui, vous avez raison, l’exercice est difficile à manier, il ne fallait surtout pas tomber dans la gaudriole ou le récit à l’eau de rose.
Tout ce qui a trait à la ion était difficile à écrire mais en même temps c'était un challenge forcément ionnant qui m’a permis permet de travailler aussi sur la sensualité : j’avais très envie de m’essayer à écrire un roman sensuel et j’espère y être arrivée en racontant ce désir de moins en moins contenu entre ces deux policiers.
Tout ceci se travaille à petites touches, il faut cre profond en même temps. Un mot de trop et ça devient vite grotesque, c’est un peu une lutte, un sport de combat on lutte contre le ridicule le mot ou la phrase qui viendrait tout foutre en l’air, bref c’est assez sportif mais j’avoue mais j’aime beaucoup ça .
Baz'art : D’après ce que vous me dites on voit bien que "Les Infidèles" est plus un roman sur le désir que sur l’adultère. Sauf que le titre laisserait justement entendre le contraire : pourquoi au fait avoir opté pour ce titre un peu bateau, le thème de l’infidélité étant déjà tellement usité dans la littérature française contemporaine ?
Dominique Sylvain : Oui vous avez sans doute raison, c’est un sujet qui a été traité par des milliers de romans à travers les époques, mais je l’aime bien ce titre quand même (sourires)
En fait, à l’origine ce roman devait s’intituler « J’aime ce monde » d’après un haïku de Natsume Sôseki. :"Sans savoir pourquoi /j’aime ce monde /où nous venons pour mourir."
Mais personne dans ma maison d’édition n’était pour ce titre en fait , donc il m’a fallu l’abandonner un peu à contre cœur( sourires) mais je m'y suis vite fait....
Et les infidèles, c’est aussi une façon de stigmatiser tous ces personnages qui vivent dans les mensonges et faux semblants et qui sont infidèles pas seulement à leur conts, mais à leurs idéaux de jeunesse, leurs valeurs…

Baz'art : Dans votre bibliographie, vous avez longtemps été abonnée aux personnages récurrents : est-ce qu’on retrouvera Maze et Barnier dans un prochain roman ?
Dominique Sylvain : A priori, je ne le pense pas. C’est un livre que j’ai toujours, du début à la fin , envisagé comme un "one shot".
Ceci étant dit, les lecteurs , sur les salons, comme d'ailleurs pendant ces quais du polar, semblent pas mal réclamer leurs retours et c’est vrai que j’aurais surement pas mal de choses à faire vivre à ces deux personnages, mais bon ,au jour d’aujourd’hui, je n’ai pas forcément envie d’aller de nouveau cre ces personnages, instinctivement j’ai envie d’aller voir autre chose…
Les personnages récurrents, j’ai effectivement beaucoup donné notamment avec Ingrid et Lola (ce duo d'enquêtrices amateurs héroïne notamment de age du désir) et il me semble avoir fait le tour de la question…
Baz'art : un dernier mot, pour conclure l'entretien : pouvez-vous nous en dire plus sur vos projets à venir?
Dominique Sylvain : Pour tout vous dire, avec mon mari, nous avons créé une maison d’édition spécialisée dans le roman de genre japonais, Atelier Akatombo.
Le premier roman, "Le loup d’Hiroshima", dont je finis actuellement la traduction, devrait être publié début juin et on l’espère il devrait être suivi par d’autres romans, notamment de science-fiction car je suis sure qu’il y a une niche la dedans avec pas mal de lecteurs potentiels. Mais chut, je ne peux pas trop vous end ire à ce sujet.