Critique cinéma : MONSIEUR, une belle romance indienne sur les inégalités sociales..
Dans les belles rencontres cinéma que j'ai pu faire ces dernières semaines (outre celle avec Jeanne Herry dont nous parlons ce matin), figure incontestablement celle réalisée avec la cinéaste indienne Rohena Gera venue début décembre sur Lyon présenter le film "Monsieur" .
Ce film, (à ne pas confondre avec le documentaire au titre éponyme de Laurent Delahousse sur Jean d'Ormesson sorti il y a quelques semaines) sort en salles le 26 décembre prochain, juste après Noël, et c'est une sortie idéale pour tenter ce film aussi accessible que dépaysant .
La réalisatrice indienne m'a semblé être particulièrement loquace et jamais avare en confidences sur la génèse de son film, tel que vous le constaterez lors de la retranscription de l'interview, et comme j'ai particulièrement apprécié son long métrage, l'échange ne pouvait qu'être fructueux.
L'intrigue de son premier long métrage met en avant Ratna, une jeune domestique tout droit arrivée de sa province, remis d'un récent veuvage qui la classe un peu parmi les pestiférées, tant la mort de son mari est un terrible affront pour elle notamment dans le village d'où elle vient.
Il faut dire que l'Inde que montre la cinéaste est un pays où les castes et les règles archaïques ont loin d'avoir disparu, dans cette société de classes où nul ne peut échapper aux règles de la tradition ni aux dictats de sa condition.
Rohana Gera a longtemps habité en Inde et s'intéressait , quand elle était jeune à la condition sociale de la nounou qui vivait avec elle. Plusieurs années après avoir quitté son pays natal, elle nous montre comment les inégalités sociales et identitaires scérélosent les rapports entre les individus.
Mais, et c'est le grand atout de son film, elle ne le fait pas sous la forme d'un pamphlet ou d'un film à thèse, mais par le truchement d'une histoire d’amour impossible entre une domestique et son maitre, qui s’inscrit pleinement dans la réalité sociale et politique de son pays.
Sous la forme de ce quasiment exclusivement un huis clos (l'appartement où se déroule une grande partie de l'intrigue est le troisième personnage du film), Rohena Gera signe un très joli film, qui pousse une belle réflexion concernant l’affranchissement de chacun, les hommes mais évidemment surtout les femmes, dans un pays où chaque pas en avant est un gain de liberté.
L’absolue délicatesse du film de Rohena Gera se perçoit aussi dans la façon dont s'établit la rélation entre la domestique veuve et ce Monsieur (dont on ne connaitra le prénom, Aschwin, qu'à la toute fin du film) dans un respect mutuel fait de confiance, malgré les différences et les barrières sociales existantes entre eux.
Comme le titre ne l'indique pas, Monsieur est avant tout un très beau portrait de femme, celui de cette Ratna qui devient de plus en plus attachante au fil du film, tout à tour ionnée, déterminée, protectrice, et tentant tant bien que mal d'obtenir une liberté si difficile à conquérir.
Sous les oripeaux d'une intrigue de comédie romantique à l'américaine, le long métrage de Rohana Gera est bien plus profond qu'un Pretty Woman sous fond de Bollywood.
En effet son long métrage est irrigué d'une inévitable mélancolie, illustrée par le personnage du "Monsieur" du titre, qui semble regretter les Etats Unis où il y a vécu avant d'être contraint par sa famille à revenir dans un Bombay qu'il n'apprécie pas.
Préférant la délicatesse et la pudeur au militantisme forcéné, Rohana Gera n'en dénonce pas moins le statut réservé aux femmes dans son pays et les inégalités criantes avec une efficacité et une émotion véritables.
On souhaite donc le plus sincèrement possible à ce très beau "Monsieur"le même succès rencontré par un autre film indien touchant, "The Lunchbox "il y a quelques années.
Monsieur - Bande-annonce