Le OFF de Borntobealivre : jour 4 !
Pour mon 4e et dernier jour au Festival OFF d'Avignon, j'ai terminé en douceur avec 4 spectacles !
Attention vu à la Manufacture
25 juillet 2023 : me voici conviée à vivre une expérience à la Manufacture : assister à la reconstitution d'une conférence ayant apparemment été donnée au Théâtre du Rond Point le 23 septembre 2019 par un grand spécialiste de l'intelligence artificielle, André Toujours (Arnaud Troalic). Difficile au début de savoir sur quel pied danser : sommes-nous en e d'assister à une conférence foireuse ? Ou bien à un événement dont on ressortira transformé•e ?
Allons-nous être assailli•e de blabla ou de révélations tendant à nous faire changer de regard sur notre consommation des flux audiovisuels (qui, nous l'apprendrons plus tard, est la deuxième activité de l'homme après le sommeil) ?
Nous serons 174 cobayes (ou témoins, appelez nous comme vous voulez) au début de cette expérience, ou plutôt de cette restitution d'expérience - vous suivez ? Tout au long de celle-ci, André Toujours nous parle, nous livre analyses et hypothèses dans un discours volontairement confus, hésitant - qui tient d'ailleurs beaucoup de l'improvisation, impressionnant, quand on y pense -, il nous balade, nous interpelle, nous demande si, vraiment, on est prêt•es et sûr•es de vouloir regarder ce film de quelques secondes, ce film sur lequel il a tant travaillé et qui pourrait tout faire changer.
Il nous invective, même, parfois, nous fait aussi miroiter des révélations au gré d'allers retours sur la scène, allant voir comment se conduit tel ou tel engin sophistiqués disséminés sur les quatre coins du plateau. Parlons-en, d'ailleurs, de ces appareils dont la présence nous donne l'impression d'être tombé•e dans le repère d'un savant fou et brillant : un projecteur de cinéma de 35 mm, des kilomètres de bandes de films, un téléviseur à tube cathodique.... À quoi s'ajoutent un mur de pixels de 3 mètres de haut, des dalles de lumière à led au clignotement hypnotique.
Un dispositif impressionnant auquel ont contribué Anne-Sophie Pauchet, Max Sautai, Romain Renault ou encore Joël Cornet. Vous l'aurez compris, cette pièce mise en scène par Chloé Giraud et le comédien lui-même était sans doute un des Objets Théâtraux Non Identifiés Mais Non Moins Fascinants de ce festival.
Un dernier mot et non des moindres sur Arnaud Troalic qui semble ne faire qu'un avec André Toujours.
Sa prestation était parfaite, totalement crédible, il est parvenu à compléter cette illusion dans laquelle nous étions toutes et tous plongé•es.
Une chose est sûre : je suivrai de près le travail de la compagnie Akté !
Marée Haute vu au Théâtre de l'Étincelle
Après avoir investi Le Lucernaire, Marée Haute a pris ses quartiers dans le joli Théâtre de l'Étincelle pendant le festival d'Avignon. C'est la comédienne Josiane Pinson, seule sur le plateau, qui est à l'origine de l'adaptation du roman de Benoîte Groult, Les Vaisseaux du Cœur. Et c'est à Panchika Velez qu'elle a confié la mise en scène. Cette magnifique comédienne a choisi de raconter George à la première personne, cette intellectuelle parisienne qui va devenir folle d'un marin, Gauvain.
Ce Gauvain, vous ne le rencontrerez pas, mais vous pourrez aisément l'imaginer grâce au portrait sensuel et intime qu'en brosse George. Mais vous entendrez sa voix (celle de Didier Brice) résonner dans la salle, et ses mots aussi simples que sincères, parfois déchirants, adressés à l'amour de sa vie.
Cette folle attirance qu'ils exercent l'un sur l'autre, cette soif qu'ils ont l'un de l'autre, ne tariront jamais. Et ce, malgré leur mariage avec cette autre, cet autre qui leur ressemblent peut-être plus, malgré leurs différences sociales, leurs trajectoires si divergentes.
Cette magnifique histoire est sublimée par la prestation de Josiane Pinson dont le charme a remporté l'adhésion de toute la salle. Elle vit son personnage avec fougue, ardeur, assumant un texte qui n'y va pas par quatre chemins pour dire le désir, l'envie de sexe, la satisfaction assouvie, la déflagration qui ravage tout sur son age. Sans jamais que la vulgarité ne vienne faire barrage, semer le trouble dans des mots trop beaux, trop intenses, trop vrais. Que c'est jouissif à écouter !
La mise en scène est simple et tendre, sans fioritures. Les décors inexistants. Des projections de lumières éclaboussent un écran pour symboliser l'atmosphère de ces pays où les corps se retrouvent.
Rien n'est fait pour nous détourner du récit de George. Le seul bémol que j'émettrais porte sur la voix de Gauvain que j'aurais voulu changeante, évoluant, mûrissant au fur et à mesure des années évoquées. Mais c'est le seul. Un grand bravo !
Zourou vu au Théâtre Épiscène
Première pièce de Mélodie Molinaro (une des trois chouettes Coquettes) et François Boran, Zourou au-delà des mots est un spectacle rempli d'émotions, de poésie, inspirée d'une histoire vraie. Elle aborde tant de sujets qu'on aimerait tellement voir plus (et mieux, surtout) traités : l'acceptation de la différence, le regard de la société sur le handicap. C'est l'autrice qui en signe la mise en scène, avec la complicité d'Houdia Ponty. Pour une première, on peut dire que c'est une fabuleuse réussite.
Pierre (Xavier Lemaitre) a toujours vécu seul avec sa fille Lola (Morgan L'Hostis) atteinte d'un trouble du langage qui ne lui permet pas, notamment, de prononcer correctement les mots de plus de deux syllabes. Aujourd'hui, Pierre a le cœur chamboulé, car il est tombé amoureux de Jeanne (Sophie Kaufmann) avec qui il travaille. Lola est une jeune fille, elle va avoir 13 ans et c'est à cet âge-là que le cerveau se fixe, que le langage se développe.
Pour ce père, c'est maintenant ou jamais. Et c'est la mission qui incombera à Thomas (Tristan Garnier), jeune orthophoniste ayant peu d'expérience, mais de l'énergie et de la créativité à revendre. Leur attachement mutuel naîtra dans le pli d'un origami, un Zourou, puis d'un autre, et encore d'un autre. S'épanouira dans une chanson, se cristallisera dans les blagues d'une marionnette. Je ne vous en dirai pas plus bien sûr et vous laisserai vivre le quotidien de Lola, ses moments de joie, de peine que vos émotions vivront au diapason.
Les chorégraphies imaginées par la comédienne elle-même me resteront longtemps en mémoire. Ce que Lola ne peut exprimer à travers des mots, elle le fait avec ses yeux rieurs, ses oiseaux en origamis, mais aussi et surtout avec son corps quand elle est seule, dans sa chambre. Elle danse comme si sa vie en dépendait, son corps exulte, se libère de toute la colère, la tristesse, la frustration qu'elle peut ressentir.
J'ai été submergée par l'amour entre ce père et sa fille, bouleversée au-delà des mots par la prestation de Morgan L'Hostis, la délicatesse de Jeanne, la bienveillance de Thomas. Ces quatre comédiens sont incroyables de justesse, parviennent à nous ficher la larme à l'œil sans trop en faire, ne tombant jamais dans les odieux écueils du pathos et des bons sentiments. Que dire aussi de cette mise en scène qui pose un sublime regard sur le handicap, cette scénographie enchanteresse et impeccable. On en prend plein les yeux et le cœur.
On me murmure à l'oreillette que des dates de tournée sont déjà programmées : le 25 novembre à Buc ou encore les 18 et 19 janvier 2024 à Montigny les Cormeilles. Vraiment, courrez-y si vous êtes dans ces jolis coins !
Maison close vu au Théâtre des Brunes
Bienvenue chez Léonie ! Une maison close où trois prostitués Céleste (Ariane Carmin), Victoire (Taos Sonzogni) et Fantine (Maroussia Henrich) tentent de tuer le temps sous le regard à la fois ferme et bienveillant de la tenancière (Agnès Chamak, qui signe ici la mise en scène avec Odile Huleux). C'est l'année 1900, les bordels sont légion et ceux qui essaient de les faire fermer commencent à l'être. La jeune Louise (Montaine Frégeai), orpheline, échoue ici, amenée bon gré mal gré par un proxénète (Fabien Floris, qui jouera plusieurs rôles). Elle découvre la vie dans cette maison où on joue aux cartes, on se soûle, on se fait belle, on chante, on s'embrasse, on se désole...
Où on essaie de ne pas penser à dehors, à la syphillis. Où on essaie de ne pas trop rêver, non plus. Et ce, en attendant le soir et, avec lui, l'arrivée des fils de bonne famille, de riches habitués. Leur quotidien presque bien huilé va basculer, un soir, lors d'une visite du fils du sous-préfet de la police...
Les comédiennes sont sublimes et le comédien convaincant dans la plupart des rôles qu'il endosse. Les chorégraphies élégantes, les décors et les costumes assez crédibles pour nous donner l'impression d'avoir mis les bottines dans une véritable maison close du début du siècle dernier. J'ai été prise dans l'histoire, partageant la vie de ces femmes. J'ai néanmoins regretté que l'événement fondateur intervienne si tardivement dans la dramaturgie. L'enjeu en devenait moins important à mes yeux, le suspense moins intense
L'écriture résolument féministe est mise en relief par les mots et les interprétations de chacune des comédiennes - en particulier ceux de Léonie.
Il m'a manqué un petit quelque cjose pour être totalement embarquée dans ce huis clos, mais le plaisir était là ! Et c'est ce qui compte.